A l'approche des élections fédérales le 26 septembre 2021 en Allemagne, focus sur les spécificités du système politique allemand.
Sommaire des questions :
Les Länder et les régions, c'est pareil ?
Quel est le rôle du Bundestag dans le système politique allemand ?
Comment les Allemands votent-ils et pourquoi un système électoral si complexe ?
Peut-on voter par procuration en Allemagne ?
Quels sont les pouvoirs du chancelier ou de la chancelière, et comment est-il/elle élu.e ?
Comment se forment les coalitions et comment fonctionnent-elles ?
Quels partis siègent au Bundestag ?
Y a-t-il un « Président de la République » en Allemagne ?
1. Les Länder et les régions, c’est pareil ?
L’Allemagne est une République fédérale, ce qui signifie que les Länder fonctionnent davantage comme des petits Etats qui disposent d’une forte souveraineté comparativement aux régions françaises. Il y en a 16 en Allemagne, dont 3 cités-Etats, Berlin, Hambourg et Brême. Ils possèdent chacun un Parlement (Landtag), une Constitution et un gouvernement qui est dirigé par ce qu’on appelle un ministre-président. Ils sont autonomes dans de nombreux domaines, tels que l’éducation, la police, les aides sociales, l’environnement, les affaires religieuses, ou encore la définition de la politique culturelle. Chaque Land possède par exemple sa propre chaîne de télévision publique. La Fédération (Le Bund) dispose d’une compétence exclusive sur la politique étrangère, la défense, la justice, la politique monétaire ou le droit du travail. Cette répartition des prérogatives n’est pas toujours évidente, et peut parfois donner lieu à un enchevêtrement de compétences entre les différents niveaux de gouvernance.
Les Länder sont représentés au niveau fédéral par le Bundesrat (Conseil fédéral), la deuxième chambre du Parlement allemand, qui élabore les lois avec le Bundestag. Il est composé de 69 membres issus des gouvernements régionaux. Chaque Land dispose de 3 à 6 voix, en fonction de l’importance de sa population. Les Länder ont par ailleurs tous une représentation institutionnelle à Berlin, leur permettant de faire le lien entre les affaires régionales et le Bund, ainsi qu’une représentation permanente auprès de l’Union européenne à Bruxelles.
Le caractère fédéral de l’Allemagne s’explique par des raisons historiques, et notamment l’héritage du Saint Empire romain germanique et la Confédération germanique, créee en 1815, laquelle fédérait 39 Etats. Lors de la réunification allemande en 1990, 5 « nouveaux Länder » à l’est du pays ont été créés, et annexés aux Länder de l’Ouest. « L’unité intérieure » ne semble cependant toujours pas totalement achevée, et il subsiste de fortes disparités socio-économiques entre les Länder de l’ex RDA et les autres : le taux de chômage est ainsi plus élevé à l’est et la population plus âgée. D’autre part, le fédéralisme fait parfois l’objet de critiques, qui dénoncent par exemple des inégalités en matière de politique éducative en fonction des Länder. Les Länder demeurent cependant des territoires avec une forte identité régionale et culturelle, à laquelle la plupart des allemands sont attachés. La Bavière, le Land le plus étendu d’Allemagne et le deuxième plus peuplé, est connu pour avoir une conscience régionale particulièrement forte, qui se reflète notamment dans sa volonté d’autonomie politique. La Bavière dispose en effet de son propre parti conservateur, la CSU (Union chrétienne-sociale) au pouvoir sans discontinuité depuis 1962.
2. Quel est le rôle du Bundestag dans le système politique allemand ?
L’institution centrale du système politique allemand est le Bundestag (la chambre des députés), qui siège à Berlin, au Palais du Reichstag depuis 1999 (il siégeait auparavant à Bonn). Le Parlement occupe une place prédominante : le Chancelier ne peut se départir de la confiance des députés et contrairement au cas français, il doit en général composer avec une coalition composée de plusieurs partis. Le Bundestag compte au moins 598 députés, élus pour un mandat de quatre ans. Il partage le pouvoir législatif et constituant avec le Bundesrat. Ce sont les députés du Bundestag qui élisent le Chancelier et votent les lois, ratifient les traités, adoptent le budget fédéral, mais aussi autorisent l’engagement des forces armées. Ils disposent de nombreux pouvoirs de contrôle du gouvernement, au travers des séances parlementaires (plénières ou commissions) mais aussi par le biais des commissions d’enquête. Formées à la demande d’au moins 25% des députés, ces commissions sont chargées de contrôler ponctuellement l’action gouvernementale sur des sujets précis. Elles peuvent auditionner des experts, rassembler des preuves, puis établissent un rapport, qui sera débattu par le Bundestag.
Le budget annuel du Bundestag est d’un peu moins d’un milliard d’euros, un chiffre conséquent qui montre aussi l’importance majeure des députés et de leurs équipes dans la vie démocratique allemande – à titre de comparaison, l’Assemblée nationale, elle, a un budget de 560 millions d’euros en 2021.
3. Comment les Allemands votent-ils et pourquoi un système électoral si complexe ?
Le mode de scrutin est mixte : il s’agit d’un scrutin majoritaire uninominal et proportionnel par compensation. En Allemagne, l’électeur dispose ainsi pour voter de deux voix, représentées sur un seul et même bulletin de vote par deux colonnes. La première voix (Erststimme) lui permet de voter pour un candidat de sa circonscription : elle assure une représentation locale personnalisée. La deuxième voix (Zweitstimme) sert à voter pour une liste présentée par un parti : une liste de candidats (Landesliste). C’est cette voix qui définit le score obtenu par chacun des partis et permettra de répartir les sièges à la proportionnelle et d’obtenir une représentation parlementaire fidèle au poids politique des différents partis. Les députés sont élus pour un mandat de quatre ans.
En fonction des résultats de la première voix, un certain nombre de députés issus des listes de chaque parti rejoint le Bundestag, de manière à compléter le Parlement en respectant l’équilibre défini par la seconde voix. Il arrive qu’un parti remporte au scrutin majoritaire plus de sièges qu’accordé par la répartition proportionnelle. Dans ce cas, ces « mandats supplémentaires » (Überhangmandat) sont conservés. Des « mandats complémentaires » (Ausgleichmandat) sont attribués aux autres partis pour conserver une représentation proportionnelle. Par exemple, après les dernières élections parlementaires de 2017, le Bundestag comptait 709 députés au lieu de 598, 11 sièges ayant été ajoutés.
La répartition des sièges au Bundestag est finalement équivalente aux résultats du vote proportionnel, mais avec des députés différemment élus, sur liste, ou en circonscription. En général, le résultat ne donne pas de majorité absolue à un parti, impliquant de former une coalition.
4. Peut-on voter par procuration en Allemagne ?
Le vote par procuration tel qu’il est pratiqué en France n’existe pas en Allemagne. En revanche, il est possible de voter par correspondance (Briefwahl) depuis 1957.
Concrètement, le vote par correspondance se déroule ainsi : l’électeur en fait la demande auprès de sa mairie, qui lui adresse quelques semaines avant l’élection son matériel de vote. Ce matériel est constitué d’un bulletin de vote, d’une petite enveloppe permettant d’en garantir le secret, d’une grande enveloppe rouge permettant de glisser la petite contenant le bulletin et la convocation au vote par correspondance (Wahlschein) signée. L’ensemble est envoyé (gratuitement) par la poste au bureau de vote. Le jour de l’élection, les grandes enveloppes rouges sont ouvertes, l’inscription sur la liste électorale est vérifiée, le vote pris en compte, et les petites enveloppes contenant le bulletin (toujours fermées) mises dans une urne scellée. Elles sont ensuite décomptées comme les autres bulletins.
Avant 2009, il était nécessaire d’expliquer la raison de son vote par correspondance (impossibilité de se déplacer, absence prolongée, etc.). Depuis lors, il n’est plus demandé de motiver sa demande de vote par correspondance. En 1957, 4,9 % des électeurs ont voté par la poste. Aux élections de 2017 ce sont plus du quart des électeurs (28,6 %) qui ont voté par ce moyen.
5. Quels sont les pouvoirs du chancelier ou de la chancelière, et comment est-il/elle élu.e ?
S’il existe bien un président de la République allemande, la personnalité politique la plus puissante d’Allemagne est en réalité le chancelier ou la chancelière (Bundeskanzler ou Bundeskanzlerin). Selon la loi fondamentale de 1949, son rôle est de « fixer les grandes orientations de la politique et d’en assumer la responsabilité ». Il ou elle dirige l’action du gouvernement et est au cœur du pouvoir exécutif. En tant que chef de la diplomatie, c’est également le chancelier qui représente l’Allemagne à l’étranger.
Mais comment est-il/elle élu.e ? Le chancelier ou la chancelière n’est pas élu.e au suffrage universel direct comme en France, mais par le Bundestag, à la majorité de ses membres et par un scrutin secret, sur proposition préalable du président fédéral. Il est élu tous les quatre ans, en même temps que le Bundestag. Dans la pratique, le chancelier élu est le candidat ou la candidate de tête du parti majoritaire (ou le premier parti majoritaire au sein de la coalition) lors des élections fédérales. Ce mode de scrutin vise à garantir la stabilité et l’efficacité de son mandat : ne peut ainsi être élu que le candidat qui est assuré de rassembler la majorité absolue des voix au Parlement.
Après l’élection, le nouveau chancelier ou la nouvelle chancelière est nommé.e par le président fédéral, et prête serment devant le Bundestag. Il peut choisir ses ministres et fixer leurs domaines de compétences. Il ne peut être destitué que par une « motion de défense constructive » votée par le Bundestag : le Parlement doit alors élire un successeur à la majorité de ses membres. En Allemagne, il n’y a pas de limite de mandat pour le chancelier, ce qui suscite des débats au sein de la sphère politique. Helmut Kohl, tout comme Angela Merkel, sont ainsi restés 16 ans au pouvoir.
Le rôle central accordé au chancelier se justifie par des raisons historiques : il s’agissait, après la seconde guerre mondiale, d’éviter de concentrer trop de pouvoir dans les mains d’une seule personne et de privilégier un régime parlementaire fort et stable. L’étendue des pouvoirs du chancelier, à côté d’un président qui occupe essentiellement une fonction symbolique, a par ailleurs conduit Konrad Adenauer à parler d’une « démocratie du chancelier » (Kanzlerdemokratie) pour évoquer le système institutionnel allemand.
6. Comment se forment les coalitions et comment fonctionnent-elles ?
En Allemagne, la formation d’une coalition entre les députés de deux ou trois partis est presque toujours nécessaire pour réunir une majorité permettant d’élire un gouvernement et le chancelier. Menées, traditionnellement, par le parti arrivé en tête des élections, les négociations pour former une coalition majoritaire portent sur un contrat de coalition autour duquel deux ou trois partis s’accordent sur les lois et réformes à mettre en œuvre au cours du mandat. La répartition des postes ministériels en fonction du poids politique des membres de la coalition, est également au cœur des discussions. Le parti arrivé en tête (ou un autre parti ayant eu un score important et capable de réunir une majorité autour de lui) peut entamer plusieurs discussions préalables (Sondierungen) afin d’évaluer les possibilités d’alliance avec les autres partis, avant d’engager des discussions plus abouties avec un ou deux de ces partis pour former la coalition (Koalitionverhandlungen). Ce processus peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les partis y définissent leurs lignes rouges, leurs points de désaccord et les projets communs qu’ils entendent mener. Traditionnellement, cela aboutit à un « contrat de coalition » qui devient le socle de l’action gouvernementale.
La logique de coalition, fondée sur la construction d’une majorité stable dotée d’un mandat clair et d’une feuille de route construite par les partenaires de coalition confère un véritable poids politique aux deux ou trois partis coalisés - à condition, bien évidemment, surtou pour les petits partis, que la négociation ait été bien menée. Concrètement, la vie de la coalition s’organise par la tenue régulière d’une commission informelle dite « commission de la coalition » (Koalitionsauschuss) composée de représentants des partis membres de la coalition, du chancelier et du vice-chancelier, qui statue notamment sur les lois en discussion et sur les éventuels désaccords politiques.
7. Quels partis siègent au Bundestag ?
Seuls les partis qui dépassent le seuil de 5% des voix accèdent au Bundestag, afin d’éviter la fragmentation du Parlement et de faciliter la formation d’une coalition qui soit apte à gouverner. Lors des dernières élections, le 24 septembre 2017, sept partis politiques différents sont entrés au parlement, dont un parti d’extrême-droite : l’AfD (Alternative für Deutschland) – pour la première fois de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne.
Les partis présents au Bundestag sont donc :
- La CDU/CSU (les Conservateurs) : créé après la Seconde Guerre mondiale, c’est le grand parti de droite, composé de la CDU (Union chrétienne-démocrate) et de sa « petite sœur », la CSU (Union chrétienne-sociale), qui est son pendant en Bavière.
- La SPD (les Socio-démocrates) : existant depuis le 19ème siècle, il est plusieurs fois à la tête d’un gouvernement dans les années 1970, et gouverne en coalition avec les Conservateurs depuis 2013.
- Bündnis 90/Die Grünen (les Verts) : formé après la réunification, le parti est issu de la fusion entre deux groupes : L’Alliance 90 (Bündnis 90), militants des droits de l’Homme en RDA, et Les Verts (Die Grünen), parti écologiste, pacifiste et anti-nucléaire.
- La FDP (les Libéraux), le parti libéral. Créé en 1948, il perd tous ses députés au Bundestag en 2013, mais réintègre le parlement lors des élections de 2017.
- Die Linke (la gauche radicale) : fondé en 2007, Die Linke se positionne à gauche des Verts et du SPD sur l’échiquier politique.
- L’AfD (l’extrême-droite) : parti eurosceptique et ouvertement anti-immigration fondé en 2013, l’AfD entre au Bundestag à l’issue des élections de 2017.
8. Y a-t-il un « Président de la République » en Allemagne ?
Si tout le monde connait le chancelier ou la chancelière allemand.e, l’existence et le rôle du président de la République fédérale sont bien moins connus. En Allemagne, le président exerce avant tout une fonction représentative : c’est une figure morale, dont la charge est essentiellement honorifique. Le président est en principe tenu à la neutralité politique et ne doit pas s’immiscer dans les affaires des partis. Bien que ses pouvoirs soient limités, il n’en demeure pas moins une personnalité influente et le garant des institutions, chargé d’examiner chaque loi avant qu’elle ne soit promulguée. Il peut en effet refuser de signer une loi s’il juge que celle-ci est contraire à la loi fondamentale (l’équivalent de la Constitution). Une de ses missions centrales est de nommer officiellement le ou la chancelier.e. Il n’est pas élu directement par le peuple, mais par une Assemblée fédérale (Bundesversammlung) composée de députés du Bundestag et du Bundesrat dont l’unique fonction est de procéder à l’élection du président.
Depuis 2017, le président de la République fédérale allemande est Frank-Walter Steinmeier, ancien ministre des Affaires étrangères.